Quels devenirs pour nos églises?
Article suite au colloque du 7 mars 2020 à Trois-Ponts

Un bel avenir pour nos églises

Le 7 mars 2020 s'est tenu à Trois-Ponts le colloque " Quels devenirs pour nos églises ? ". La désaffection croissante pour le rite catholique menace la pérennité de nos lieux de cultes, devenus coûteux à entretenir. Face à ce constat, inquiétant pour bon nombre de nos concitoyens, des experts ont offert une vision d'avenir positive et présenté les solutions déjà mises en place dans les régions limitrophes.
Personne ne nie la réalité : une fréquentation en chute libre, la raréfaction des célébrations, une défiance vis-à-vis de l'institution religieuse, bref un contexte toujours plus prégnant de laïcisation relègue progressivement nos églises à un fonds de musée en plein air, dont les finances publiques ne pourront pas supporter indéfiniment l'entretien. Ces vastes volumes, bien localisés au cœur de nos lieux de vie, ne pourraient-ils pas être mieux rentabilisés, ou du moins rencontrer une utilité pour un plus grand nombre de contribuables ?

Pourtant, cette église désertée, cette chapelle aujourd'hui fermée, on y reste attaché sentimentalement et "quelque chose" dérange à l'idée de la voir transformée froidement en logement ou en restaurant… Pour les croyants, elle demeure la maison de Dieu, éventuellement sacrée et inviolable ; avec son clocher étiré vers le ciel, elle suggère qu'une dimension immatérielle prévaut sur la réalité terrestre. Pour les autres, elle évoque les grandes étapes de la vie tandis que son carillon, certes désuet, égrène les heures de la journée. Plus ou moins centrale, souvent multiséculaire, pourvue de mobilier ouvragé et ornée d'une statuaire coutumière, elle appartient à ce capital architectural et artistique qui résiste courageusement à la standardisation ambiante.

Assurément, il était temps d'entreprendre un travail sur le devenir de ces édifices, dont une partie se destine inévitablement à la reconversion. Mais comment s'y prendre ? Depuis près de 10 ans, regroupés au sein du groupe " Patrimoine ", des acteurs culturels et politiques de la Haute-Ardenne (Gouvy, Lierneux, Stoumont, Trois-Ponts, Stavelot) se préoccupent de la valorisation et préservation de l'histoire et du patrimoine local. En 2016, les Journées du Patrimoine consacrées à la redécouverte du patrimoine religieux ont fait émerger au sein de ce groupe une commission spéciale " Avenir de nos églises ", soucieuse de lever ce qui s'avérait encore un tabou : le devenir de ces lieux fortement délaissés et dès lors en danger ! Chemin faisant, en 2018, des partenaires motivés et compétents ont rejoint la réflexion : la Maison de l'Urbanisme Famenne-Ardenne (MUFA), la Fondation Rurale de Wallonie (FRW), le Parc naturel des deux Ourthes (PNDO) ; des acteurs précieux soucieux d'épauler les entités rurales, leurs élus et les citoyens dans leur démarche commune et concertée de préservation et dynamisation de nos campagnes.

Le sujet était sensible et délicat, il fallait lever certaines craintes et oser le pari de l'ouverture, du partage, de la curiosité et de l'écoute. Plus de trois années se sont écoulées entre l'intention d'examiner sujet et la concrétisation d'une rencontre décomplexée et ouverte sur la question. Ce 7 mars, par ce colloque, le projet était enfin sur les rails ! Nous étions 115 personnes (élus, fabriciens, architectes, urbanistes, citoyens, paroissiens…) portées par l'intérêt de dresser un premier état des lieux et de se voir offrir des regards spécialisés.

Face à cette problématique, la meilleure attitude est en premier lieu d'observer ce qui se fait déjà ailleurs, près de chez nous. Ainsi Jonas Dankers, conseiller au sein de l'asbl PARCUM, est venu nous présenter le cas de la Région flamande, où a été mis en place le Kerkenbeleidsplan (Plan de Gestion stratégique des Églises). Il définit 4 axes : la valorisation des édifices (ex. : par des événements), les utilisations concomitantes (par d'autres collectifs, en alternance avec le culte catholique), les destinations secondaires (ex. : expositions) et les réaffectations (par ex. : en bibliothèque). Ce plan indique toute la marche à suivre, depuis la consultation des citoyens (via des réunions de créativité), jusqu'aux études de faisabilité par des bureaux d'architectes, en passant par l'inventaire du patrimoine, l'approbation des évêques, les aspects juridiques, etc. Ainsi, nos voisins ont déjà développé des projets d'églises partagées, de nefs multifonctions ainsi que quantité de reconversions (après désacralisation) : en brasserie, salle communale, garderie, hébergements pour pèlerins (champing), columbarium, école de cirque, atelier artistique, musée, hall des sports, classe de cours, office du touriste, maison de repos… (Pour plus d'informations, voir www.parcum.be.)

Par téléphone depuis Nancy, Virginie Watier, "programmiste" au CAUE 54 (Conseil d'Architecture, d'Urbanisme et de l'Environnement), nous a présenté les projets en cours en Meurthe-et-Moselle, eux-mêmes inspirés de l'expérience québécoise. Par exemple, une église de Montréal a été convertie en "restaurant socialement responsable" (le Chic Resto Pop), une autre transformée en "Centre multifonctionnel" à La Durantaye. Une particularité de l'approche française semble bien être une prise en considération des édifices dans leurs rapports les uns avec les autres, en tant qu'ils forment un maillage du territoire. Chaque bâtiment est évalué sous quatre angles appelés "regards croisés" : 1) sa valeur architecturale, 2) son état technique et sanitaire, 3) les usages cultuels et culturels qu'il accueille et 4) ses qualités urbaines et paysagères. La procédure nous a été exposée à la manière d'un grand projet d'entreprise, très analytique, très balisé, épaulé par des sondages, associant des ateliers créatifs avec les riverains. Tout ce travail donne lieu pour chaque église à une brochure descriptive très élaborée. Mme Wautier nous a confié avoir été inspirée par l'étude Les 12 commandements - Réaffectation des églises (Revue A+ Architecture in Belgium, n° 257, décembre 2015 - janvier 2016.). Plus d'information sur www.ledevenirdeseglises.fr.

Le devenir des églises prend ici place dans une réflexion d'ensemble axée sur le devenir des territoires ruraux induit par les impératifs environnementaux qui vont s'imposer dans les années à venir. L'église est envisagée dans une campagne considérée comme lieu d'innovation et de changement. L'église, le plus souvent centrale au village, est perçue comme ayant un rôle stratégique à jouer dans la vitalité de villages qui se voudront redensifiés pour préserver les sols et la biodiversité et redynamisés par le retour au local. L'église comme les anciens bâtiments de ferme renferment un potentiel de réactivation de nos villages.
Un court-métrage d'animation, extrêmement bien conçu, présente la problématique en général, qui est aussi la nôtre, et la réponse du CAUE 54. J'en recommande vivement le visionnage. Tapez donc "Le devenir des églises - Territoire d'à-venir" dans YouTube. Vous serez surpris et passerez un agréable moment tout en vous instruisant.

C'est Jacques Hansel, directeur de projets chez IDELUX, qui a pris le relais, car cette association dispose d'un service de "veille" des enjeux communaux, où la question du futur des lieux de culte est récurrente. Son analyse souligne des mouvements inverses : d'un côté la fréquentation des églises diminue, de l'autre la demande d'espaces de convivialité augmente. Ce paradoxe pourrait se résoudre, en tenant compte de distinctions qu'il a explicitées, par la co-jouissance des édifices, des affectations secondaires et bien entendu des réaffectations. Il a ébauché les réflexions en cours concernant l'église Saint-Gengoux de Vielsalm et la chapelle de Burtonville (qui n'est occupée qu'une fois par an).

La modératrice Annick Burnotte (MUFA) a conclu ces présentations par des exemples wallons d'usages partagés (réseau Églises ouvertes, concerts, salles culturelles, etc.) et de transformations d'édifices : l'église de Marcouray-Rendeux à présent salle communale, une chapelle de Virton devenue la "Biblio'Nef", l'espace culturel des Capucins de Stavelot, l'église Saint-Martin de Virton désormais propriété des Musées de Latour et le couvent franciscain de Bertrix converti en "résidence service" et crèche.

TOUTES LES PRESENTATIONS DES INTERVENANTS SONT ICI!

 

Dans les questions posées aux participants par le public en fin de matinée, une inquiétude s'est exprimée, d'une part pour le délitement de la pratique religieuse, d'autre part pour ce qu'il adviendra du mobilier sacré, des clochers, des éventuelles tombes dans la nef, des cimetières alentours… Après avoir recentré le débat, les répondants ont mis en avant la qualité des inventaires existants, les aspects juridiques, les enjeux d'une bonne collaboration entre les communes, l'évêché et les fabriques d'église.

L'après-midi était dédiée à une approche du sujet à la fois plus symbolique et plus institutionnelle. Elle a débuté par l'intervention du vicaire épiscopal Éric de Beukelaer, un homme que l'on sait éloquent et aguerri à la prise de parole sans support visuel. Le professeur d'histoire, nullement déconnecté de la réalité puisqu'il a charge des relations avec les fabriques, n'a pas manqué de replacer le tableau dans un contexte historico-culturel plus large : " Mon rêve serait de retrouver la situation de 1830 : peu d'églises et beaucoup de chapelles. " La position de l'évêché est claire : il faut tout faire pour rouvrir les églises, d'autant que l'on dispose aujourd'hui de moyens techniques et humains pour assurer leur surveillance. " Une église fermée est une église qui meurt. ", énonce-t-il sur un ton grave. Cela implique une adhésion de principe en faveur des usages conjoints, d'autant que les églises étaient traditionnellement "multifonctions", au moins jusqu'à leur sacralisation décidée au Concile de Trente (XVIe s.) Prenant l'exemple d'une église partageant son espace avec une bibliothèque, où " le fidèle trouvera peut-être un livre intéressant tandis que le lecteur aura peut-être envie de dire une petite prière ", il accorde sa rhétorique à cette vision moderne en résumant : " C'est win-win ! " L'église doit être envisagée comme un bâtiment public au sens le plus large et le plus humain du terme ; dans cette perspective, " elle n'est pas une charge, mais elle est une chance ! ", exprime-t-il sans pour autant occulter la vocation première du lieu de culte. En effet, le prêtre sait aussi défendre l'église au milieu du village : " Dans ce monde qui s'emballe, dans ce monde qui se matérialise, nous avons besoin de lieux de spiritualité ; dans un monde où tout se paie, de lieux de gratuité. " Cela n'est sans doute pas possible sans le concours des administrations : " J'ai vu des églises en bon état : c'est où les communes interviennent financièrement… " Mais l'enjeu est de taille puisqu'il implique l'équilibre des générations à venir : " Nous avons besoin que nos jeunes ne deviennent pas des analphabètes spirituels !"

La parole fut donnée ensuite à Françoise Hamoir (Chantier paroissial pour le diocèse de Namur/Luxembourg) et à Pascal Roger, Doyen de La Roche, lesquels ont proposé une réflexion sur le rôle historique et mémoriel de l'église. Dans un petit dialogue fictif mettant en scène une église "humanisée", celle-ci a été comparée à une brave vieille dame du voisinage, pleine de savoirs pratiques, rassurante, disponible, toujours prête à aider et dont la porte est toujours ouverte. Avec " son clocher tel un index dressé vers le ciel ", elle nous rappelle quotidiennement qu'il y a "autre chose". Lieu de célébration des grands rendez-vous de l'existence, l'église représente l'humanité. Lieu de rassemblement en période d'épreuves, elle représente la solidarité. Elle est un espace de gratuité, de silence, de partage, de convivialité… si bien que " prendre soin de l'église, c'est un peu prendre soin de l'être humain ", résume le Rochois qui étend sa réflexion aux autres bâtiments cultuels. Il propose que dans leur réaffectation, ceux-ci demeurent des lieux de patrimonialité et de communion.

Xavier Drion, juriste, coauteur de Les Fabriques d'église et établissements assimilés , nous a livré un aperçu plus institutionnel de la gestion des églises. En Belgique, elles sont au nombre de 4296 pour 581 paroisses, cela donne une idée du nombre d'édifices menacés de fermeture ! Une partie appartient aux fabriques, l'autre aux communes (contrairement au Grand-Duché de Luxembourg où les fabriques d'église ont cédé la place à un fonds de gestion). D'autres chiffres parlants : de 2012 à 2016 ont été introduits 75 dossiers de désaffectation, contre 31 pour la seule année 2018 ! La tendance est clairement à la hausse. Il a enfin rappelé certaines dispositions importantes du décret du 18 mai 2017 relatif aux obligations des lieux de culte. Avis aux fabriciens…

L'intervenant le plus médiatique, Gabriel Ringlet, n'ayant pu se rendre à Trois-Ponts, nous a fait néanmoins l'honneur d'une présence virtuelle sous forme de séquence vidéo au titre explicite : Les églises, des lieux pour accueillir l'humanité aujourd'hui. D'emblée, il a pointé l'impasse économique dans laquelle se trouvent les gestionnaires de lieux de culte et en appelle à un regard éthique : entretenir des bâtiments si peu fréquentés constitue une injustice sociale. L'ouverture des oratoires semble donc une évidence, en particulier lorsque le cultuel s'associe au culturel : " Pourquoi pas un concert rock après les Cendres ? " La mixité cultuelle n'est pas à exclure, en ce compris l'ouverture à des célébrations laïques lors des grands moments de la vie. Le théologien estime que ce serait une fierté pour l'Église de mettre ses bâtiments à la disposition d'une population plus large, sur le plan culturel certainement, sur le plan cultuel peut-être…

Les questions du public, qui sortaient péniblement des récriminations sur l'Église au lieu de se focaliser sur le sens et la mise en œuvre de ces transformations inéluctables, ont permis de faire émerger quelques réflexions intéressantes, qui relativisent l'aspect sacré, quasi intouchable, des lieux de célébration. En voici quelques-unes. Pascal Roger : " Le cœur du message du Christ n'est pas : venez dans l'église ! " Et " on est passé d'un christianisme sociologique à un christianisme de conviction. " Il faut tenir compte de cette nouveauté et en finir avec l'idée qu'on parviendra à y faire revenir les foules par une simple modernisation de la forme du culte. Nous sommes face un problème plus large, c'est la transmission en général qui devient difficile, dans de nombreux domaines. Éric de Beukelaer : " Cessez d'accuser l'Église de ne pas en faire assez ! Si je vous répétais : et vous, laïcs, que faites-vous pour envoyer vos jeunes à la messe ?... " ; " Le monde a changé ! " Et de montrer une fois encore son ouverture d'esprit concernant les usages partagés : " Dans une église, tout ce qui ne fait pas scandale peut se faire. C'est l'homme qui est sacré. "


Le mot de la fin revenait à deux porte-parole du groupe de réflexion, José Schmitz (asbl Musée de Wanne) et Dorina Muntean (agent culturel à Gouvy), ainsi qu'à Claude Legrand (Premier Échevin à Trois-Ponts, en charge du patrimoine). " Notre initiative de 2016 a gagné en légitimité ", tandis que la feuille de route est en grande partie donnée par les divers exemples précurseurs, français et flamands. Mme Muntean a insisté sur la bonne coopération entre les différents acteurs (l'Évêché, les communes, les fabriques d'église, les paroissiens et les auteurs de projets), chacun étant appelé sortir de sa seule perspective pour " aller sur la montagne de l'autre ". Elle a terminé par une interpellation publique, sous forme de deux questions : " Qu'est-ce que je voudrais qu'il n'arrive absolument pas à mon église ? " et " Qu'est-ce que je pourrais faire, moi, pour sauver mon église ? "

Ainsi se concluait ce colloque riche en réflexions et en exemples pratiques, intéressant du début à la fin grâce à l'expérience - et aux qualités oratoires - des invités et, oserais-je dire, enthousiasmant quant aux devenirs possibles de nos traditionnels lieux de prières. En fin de compte, avec cette journée, le "problème" a changé de visage, il apparaît davantage comme un chemin à tracer ensemble. Paraphrasant l'apôtre Pierre, socle de l'Église et témoin d'une transfiguration au mont Thabor, je dirais : " Il était bon d'être là ! " L'événement marque publiquement sinon le début, du moins une étape mémorable, d'un long travail de fond aux niveaux local, provincial et national qui devra aboutir à la sauvegarde de ces témoins historiques d'une spiritualité bimillénaire.

Retrouvez les présentations des différents intervenants sur le site de la MUFA : http://www.mufa.be/ ou encore sur mon site www.memoires-ardennaises.be/religion/eglises/

Jean-Philippe Legrand, le 27 mars 2020
avec la contribution d'Édith Lambert.





Réalisation : Jean-Philippe Legrand